Zoom Science-Avril 2010
La molécule de CO2 résiste mieux à la pression que prévu.
Frédéric DATCHI
(télécharger le texte (218 KB) au format pdf)
Le
CO2 solide change radicalement de nature à haute pression et haute
température, passant d’un solide moléculaire typique à un état dit «
polymérisé » [1]. Celui-ci est caractérisé par la disparition des
doubles liaisons C=O de la molécule et la formation de nouvelles
liaisons simples. Une des questions fortement débattue ces dernières
années concerne la façon dont cette transformation a lieu : s’agit-il
d’une réaction chimique entre molécules voisines lorsque la distance qui
les sépare devient suffisamment petite, ou existe-t-il, comme il a été
proposé, des états intermédiaires dans lesquels la molécule est
profondément déformée? Pour répondre à cette question, notre équipe a
déterminé la structure cristalline du CO2 en phase IV, la dernière phase
moléculaire avant la polymérisation. Nous avons ainsi pu démontrer que
la molécule de CO2 n’est pas aussi flexible qu’on le pensait.
A
pression et températures ambiantes, le CO2 est une molécule linéaire
dans laquelle les atomes de carbone et d’oxygène sont fortement liés par
une double liaison covalente ( ?). En appliquant une pression de 0.6
GPa (6000 atmosphères à température ambiante, le dioxyde de carbone
cristallise dans la même structure que celle observée à basse
température, appelée communément la « glace sèche », ou phase I. Ce
solide est l’archétype des solides moléculaires, pour lesquels l’énergie
de liaison entre les molécules est faible, comparée à celle des
liaisons internes. Plusieurs autres phases solides du CO2 ont été
découvertes ces dix dernières années, et leurs domaines de stabilité
respectifs sont représentés sur le diagramme de phases
pression-température de la figure 1.
Figure
1. Diagramme de phases du CO2 à hautes pression et température. Les
différentes couleurs distinguent les phases moléculaires des phases
polymériques. L’encart montre une photographie du cristal de CO2 en
équilibre avec son fluide à 11.7 GPa–830 K, vu à travers les enclumes
diamant.
Notre étude
s’est plus particulièrement intéressée à la phase IV, stable au-dessus
de 11 GPa et 500 K (110 000 atmosphères et ~230 °C) environ. Celle-ci a
été précédemment décrite comme un état intermédiaire entre la phase I
et le solide polymérique V. En effet, la structure proposée à partir
d’une étude expérimentale la présentait comme composée de molécules très
étirées (avec une longueur de liaison supérieure de 30% à celle de la
phase I) et « tordues », l’angle <OCO faisant 160° [2]. Toutefois une
telle conformation moléculaire entrait en contradiction avec d’autres
observations expérimentales et théoriques, engendrant un vif débat sur
la structure réelle de cette phase.
Pour résoudre cette
controverse, nous avons réalisé des expériences de diffraction des
rayons X sur un monocristal de phase IV. Cette technique permet de
déterminer la structure d’un cristal avec grande précision et sans
ambigüité. Obtenir un monocristal n’est pas une tâche aisée car la
croissance doit être réalisée dans des conditions très contrôlées de
pression à haute température (~15 GPa et 830 K). Nous avons utilisé
une presse à enclumes diamant, dispositif permettant d’atteindre de très
hautes pressions, avec une grande ouverture permettant le passage des
rayons X. L’échantillon de CO2 emprisonné entre les deux enclumes de
diamant a été comprimé jusqu’à 15 GPa à température ambiante puis
chauffé jusqu’à 830 K. Le polycristal ainsi obtenu a ensuite été
lentement décomprimé jusqu’à la courbe d’équilibre solide-fluide, où
nous avons pu stabiliser un seul germe cristallin (Figure 2). Cet
échantillon a ensuite été étudié sur les lignes de lumières du
synchrotron ESRF à Grenoble, dont la brillance et la taille du faisceau
de rayons X est bien adaptée à la très petite taille (<0.1 mm) du
cristal.
La grande qualité du cristal nous a permis d’obtenir de
très beaux clichés de diffraction et ainsi résoudre sa structure.
Celle-ci est rhombohédrique (groupe d’espace R-3c) avec 8 molécules dans
la maille primitive (Figure 2). La longueur de liaison mesurée est
légèrement plus faible que dans la glace sèche ou la molécule isolée, en
flagrante contradiction avec la structure proposée précédemment [2]. De
plus, aucune distorsion de la linéarité de la molécule n’est observée.
Ceci montre que le CO2 reste un solide moléculaire dans ces conditions
de pression et de température extrêmes, et que la molécule reste
intacte.
Figure 2. Cellule unité du CO2 en phase IV (R-3c) représenté dans la
maille hexagonale triple à 24 molécules.
La
stabilité de cette structure a ensuite été étudiée par des calculs
théoriques dits « ab-initio », c'est-à-dire sans paramètre ajustable.
Les résultats obtenus sont en excellent accord avec les expériences et
permettent en outre de reproduire avec une très bonne précision les
modes de vibrations du solide.
Ces résultats démontrent également
une grande similarité entre le comportement du CO2 et celui de l’azote
moléculaire sous haute pression. En effet, on retrouve dans ces deux
composés la même succession de phases cristallines lorsqu’on augmente la
pression. La structure R-3c est également choisie par le CO solide à
haute pression, démontrant qu’elle est un arrangement favorable à haute
densité pour des molécules linéaires qui possèdent un fort quadrupôle
électrique. On peut donc s’attendre à rencontrer cette structure dans
plusieurs autres composés du même type.
En conclusion, notre
étude démontre qu’il n’existe pas d’état intermédiaire dans le CO2 et
que la rupture des liaisons doubles se fait brusquement lorsque les
molécules sont suffisamment proches l’une de l’autre pour initier la
polymérisation. Outre une meilleure connaissance du diagramme de phases
du CO2 à haute pression et température, ces résultats devraient nous
aider à mieux comprendre la formation des phases polymériques et leurs
structures, jusqu’à présent inconnues.
Références
[1] V. Iota, C.S. Yoo, and H. Cynn, Science 283, 1510 (1999).
[2] J.H. Park, C.S. Yoo, V. Iota, H. Cynn, M.F. Nicol, and T. Le Bihan, Phys. Rev. B 68, 014107 (2003).
Principale publication et auteurs
F.
Datchi (a), V.M. Giordano (b), P. Munsch (a) and A.M. Saitta (a),
Structure of carbon dioxide phase IV: breakdown of the intermediate
bonding state scenario, Phys. Rev. Lett. 103, 185701 (2009).
(a) Université Pierre et Marie Curie (Paris 6) & CNRS, IMPMC, Paris (France), équipe « Physique des Milieux Denses »
(b) ESRF, Grenoble (France)
Egalement dans la rubrique
- Zoom Science - Novembre/Décembre 2010 - Graphène : de la théorie à la fabrication
- Zoom Science - Octobre 2010 - Du vivant de 230 Millions d’années dans des roches métamorphiques ?
- Zoom Science - Juillet 2010 - Magnétisme : l’oxygène dans tous ses états !
- Zoom Science - Mai 2010 - LOTUS, un nouveau domaine protéique dans la saga protéines- petits ARN
- Zoom Science - Mars 2010 - L'oxygène est-il un élément léger du noyau terrestre ?
Contact
A. Marco Saitta
Directeur de l'institut
marco.saitta(at)sorbonne-universite.fr
Ouafa Faouzi
Secrétaire générale
ouafa.faouzi(at)sorbonne-universite.fr
Jérôme Normand
Gestion du personnel
Réservation des salles
jerome.normand(at)sorbonne-universite.fr
Antonella Intili
Accueil et logistique
Réservation des salles
antonella.intili(at)sorbonne-universite.fr
Idanie Alain, Sanaz Haghgou, Hazem Gharib, Angélique Zadi
Gestion financière
impmc-gestion(at)cnrs.fr
Cécile Duflot
Communication
cecile.duflot(at)sorbonne-universite.fr
Contact unique pour l'expertise de matériaux et minéraux
Stages d'observation pour élèves de 3e et de Seconde
feriel.skouri-panet(at)sorbonne-universite.fr
Adresse postale
Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie - UMR 7590
Sorbonne Université - 4, place Jussieu - BC 115 - 75252 Paris Cedex 5
Adresse physique
Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie - UMR 7590 - Sorbonne Université - 4, place Jussieu - Tour 23 - Barre 22-23, 4e étage - 75252 Paris Cedex 5
Adresse de livraison
Accès : 7 quai Saint Bernard - 75005 Paris, Tour 22.
Contact : Antonella Intili : Barre 22-23, 4e étage, pièce 420, 33 +1 44 27 25 61
Fax : 33 +1 44 27 51 52