Zoom Science-Janvier 2011

Cristallographie : la théorie des macles revisitée !
Questions à Jean-Claude Boulliard, directeur de la collection de minéraux de l’IMPMC-UPMC,
suite à la parution de son ouvrage « Le cristal et ses doubles », dans
lequel le chercheur revisite la théorie scientifique des macles et
rappelle leur intérêt pour la cristallographie.
Les Editions du CNRS viennent de publier votre dernier ouvrage, intitulé : « Le cristal et ses doubles »
. Voilà un titre mystérieux, que faut-il entendre par les doubles de cristaux ?
Ce
titre est en quelque sorte une invitation à ouvrir le livre et à
découvrir ce qu’il cache. Il aurait été plus exact de l’intituler les
cristaux « jumeaux» ou bien les « macles », mais je ne suis pas sûr que
cela aurait été explicite pour le profane. Ce livre a pour sujet, non
pas le cristal pris en lui-même, que l’on appelle monocristal, mais des
groupes qui associent deux cristaux (ou deux parties de cristaux)
orientés l’un par rapport à l’autre de façon très spécifique. Si les
deux cristaux sont de même espèce minérale, on parle de macle … en
France uniquement, car tous les autres pays préfèrent le terme de
jumeaux (twins en anglais, Zwillinge en allemand, …).
Dans la
nature, les macles peuvent apparaître sous des formes étonnantes et
spectaculaires : en croix, en cœur, en pointe de flèche, en étoile, en
flocons de neige, etc.
Fig-135 : Calcite maclée , faciès en "pointe de flèche" ou en "aile de papillon" (San Juan de Rayas, Guanajuato, Méxique)
Mais
pourquoi la nature nous offre-t-elle ses macles ? Comment se
forment-elles ? Quelles sont les conséquences de telles structures ?
On
aimerait bien savoir pourquoi les macles apparaissent dans la nature.
Pour une espèce donnée, comme la fluorite par exemple, il existe des
gisements où presque tous les cristaux sont maclés et d’autres où il n’y
a aucune macle. Cela reste une énigme. Toutefois, on en sait plus sur
les macles mécaniques (produites par des contraintes) et les macles de
transition (produites lorsqu’un matériau transite, d’une structure
cristalline vers une autre). Comprendre les macles est important car
elles ont des conséquences plutôt fâcheuses sur certains matériaux :
elles constituent des défauts étendus qui altèrent certaines propriétés.
Ainsi, l’immense majorité des quartz naturels sont maclés selon une loi
mécanique qui « détruit » leur propriété la plus recherchée : la
piézoélectricité.
Si l’on poursuit sur ce terrain, quel éclairage scientifique, votre ouvrage, apporte-t-il ?
Je voudrais d’abord faire remarquer que mon intérêt procède d’une sorte de « tradition » de l’IMPMC (anciennement « Laboratoire de Cristallographie et de Minéralogie de Paris
»), car des savants comme Frédéric Wallerant (1858-1936) et Hubert
Curien (1924-2005), pour ne citer que les plus connus, se sont impliqués
dans la théorie des macles.
Pour revenir à mon ouvrage,
celui-ci offre dans sa première partie, une introduction à la
cristallographie du 19e siècle, encore peu connue. Dans cette quête
historique, j’ai découvert que les macles avaient été, en France
surtout, au centre des discussions et des théories cristallographiques.
Bravais, par exemple, justifie sa théorie du réseau cristallin (1850-51)
en proposant la première théorie des macles (qui n’expliquait en fait
qu’une partie des macles connues). Plus tard, Mallard invoque les macles
pour expliquer les anomalies optiques de certains cristaux cubiques.
La
seconde partie porte sur l’analyse des différentes théories
contemporaines sur les macles dans plusieurs disciplines : en
minéralogie et cristallographie, mécanique, métallurgie, physique de la
matière condensée et physique des matériaux. Chaque discipline a
développé des concepts et des théories propres.
En décryptant
l’ensemble des théories, j’ai observé des phénomènes de croissance
négligés : durant leur croissance, certaines macles adoptent un « faciès
» qui laisse croire à l’existence d’autres macles que celles d’origine.
Or ces « faciès » ont été utilisés pour justifier des théories
algébriques des macles que, du coup, j’ai fortement relativisées sur le
plan scientifique. J’ai proposé une synthèse qui apporte des
réajustements que j’étais loin de suspecter. Ainsi, j’ai dû aussi
relativiser la théorie de Friedel (1904), encore largement acceptée en
France. Friedel a défini, sans démonstration, les macles, par
l’existence d’une sorte de cristal dont le réseau (virtuel ou réel),
possède des symétries de macle (différentes de celles du cristal). Je
montre que le point important est la surface de contact entre les deux
cristaux.
La troisième partie, plus descriptive, est consacrée
aux macles célèbres du monde minéral. Elle m’a demandé du temps, car il a
fallu acquérir, à travers le monde, plusieurs macles remarquables pour
compléter la collection de l’IMPMC-UPMC. Il a fallu aussi
reprendre le bon vieux goniomètre et analyser toutes les macles déjà
dans son escarcelle. Cela m’a permis de mettre à jour, deux macles de
feldspath inconnues jusqu’alors (l’une d’elle avait été décrite sur le
plan de la théorie, mais jamais mise à jour).
Fig192 : Macle multiple du chrysobéryl (Lac Alaotra, Madagascar)
Quel apport pour les amateurs de minéraux et tout un chacun ?
Pour
les amateurs de minéraux, les macles, par leurs formes et leur rareté,
constituent un thème de collection raffiné et fascinant. La collection
de minéraux de l’IMPMC-UPMC possède un nombre conséquent de
macles classées parmi les plus belles recensées au monde. Elles sont
illustrées dans le livre. Les macles sont aussi, pour beaucoup,
mystérieuses et la question qui se pose est de savoir quels sont les
critères qui permettent de savoir si l’on se trouve devant une macle. Je
pense que mon ouvrage répond notamment, à cette question.
Les macles sont-elles donc encore un sujet d’actualité ?
Si la communauté des spécialistes des macles est restreinte, le sujet reste cependant d’actualité. Par exemple, pour résoudre les structures des protéines, il faut analyser des cristaux… qui peuvent être maclés.
Pour contourner ce problème, il est utile de prévoir la présence de
macles. Sur ce point, la théorie des macles sur les cristaux
moléculaires est un sujet encore vierge et reste à explorer.
Fig 143 : Calcites rhomboédriques maclées.
Ces macles sont de plus maclées entre elles selon [001], les axes [001] de chaque macle étant décalés (Sambava, Antsiranana, Madagascar)
Quelle est la prochaine étape de votre démarche portant sur ces « cristaux jumeaux » ?
Monter une exposition sur les macles à la collection de l’IMPMC-UPMC. Mais cette année, la collection est impliquée dans l’AIC
(Année Internationale de la Chimie) et, dans ce cadre, elle propose, à
partir du 16 février, une exposition sur la chimie du solide et la
cristallogenèse intitulée : « le cristal, joyau de la nature, chef-d’œuvre du chimiste ». L’exposition sur les macles devrait être organisée par la collection, au plus tard en 2012.
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